Alors que la formation du gouvernement devrait être annoncée dans les jours à venir, il s’agit fort probablement du dernier discours de Youssef Chahed en tant que chef de gouvernement chargé d’expédier les affaires courantes. Fidèle à ses stratégies communicationnelles, il s’est montré confiant, serein, notamment satisfait du bilan de son mandat. Accomplissements, calculs politiques, crise et indicateurs économiques, situation sécuritaire et autres, Chahed a tout évoqué, ou presque.
Le chef du gouvernement chargé d’expédier les affaires courantes, Youssef Chahed, a accordé, hier, une interview à la première chaîne nationale et à la chaîne Attassia dans laquelle il est revenu notamment sur son bilan. Il a notamment mis l’accent sur ce qu’il appelle la nette amélioration de la situation sécuritaire en Tunisie grâce à la mise en place d’une nouvelle stratégie sécuritaire.
Confronté à de mauvais indicateurs économiques, notamment le taux d’inflation, Chahed a expliqué qu’il faut revenir sur la situation et les conditions dans lesquelles il avait pris le pouvoir, affirmant qu’aujourd’hui, la situation économique est meilleure, dans la mesure où le déficit du budget de l’Etat a baissé pour atteindre les 3%, ce qui est selon lui, un taux acceptable. « Il faut comprendre le contexte économique et sécuritaire dans lequel ce gouvernement a pris les choses en main. Aujourd’hui, nous pouvons dire que les équilibres des finances publiques ont été rétablis », a-t-il noté. Evoquant la question de la notation du risque souverain de la Tunisie en devises, Chahed a affirmé que pour la première, en 2019, les agences de notation n’ont pas revu à la baisse celle de la Tunisie.
Pour ce qui est de la hausse du taux d’inflation, il a expliqué qu’il s’agissait d’un mal nécessaire résultant de la hausse de la TVA pour réformer les finances publiques, tout en prenant en considération les intérêts des classes défavorisées à travers la mise en place de plusieurs programmes à caractère social. Il a d’autre part défendu sa stratégie face à l’évasion fiscale, affirmant que le gouvernement a déployé tous les efforts pour faire face à ce fléau. Des efforts couronnés par la sortie des listes noires des pays à haut risque de blanchiment d’argent et d’évasion fiscale.
On a évité le pire
Evoquant également la situation des entreprises publiques, le chef du gouvernement chargé d’expédier les affaires courantes a affirmé que son gouvernement a été le premier à ouvrir leur dossier. « Nous avons mené cette guerre tout seuls, mais nous avons fait face à des résistances de la part du partenaire social, on a évoqué même des lignes rouges et des plans pour faire tomber le gouvernement. Nous avons mis en place plusieurs programmes de restructuration des entreprise publiques, et il faut dire que la restructuration n’est pas synonyme de privatisation », a-t-il dit.
Quant à la production de phosphate, Chahed a affirmé que l’année 2019 a enregistré le meilleur taux de production avec près de 5 millions de tonnes. « Nous n’avons bénéficié d’aucun appui politique de la part des autres partis, mais nous insistons sur le fait que la restructuration des entreprises publiques est aujourd’hui une priorité ».
Il a affirmé, en revanche, que ces réformes n’ont pas touché directement « les Tunisiens qui exigent toujours l’amélioration de leur quotidien et de leurs conditions de vie ». « Le Tunisien n’a pas senti ces réformes dans sa vie quotidienne, et ceci constituera le premier objectif du prochain gouvernement », a-t-il encore noté. « Les priorités ont changé, aujourd’hui, l’étape exige la mobilisation de fonds destinés à consolider les intérêts des citoyens dont notamment leur pouvoir d’achat. «On a évité la catastrophe, on a évité le pire, en lançant une période d’ajustement économique et sécuritaire», a-t-il encore poursuivi, appelant à la continuité de cette stratégie pour assurer une meilleure efficacité. Pour Chahed, le défi du prochain gouvernement est d’assurer une véritable ceinture politique pour poursuivre et engager les réformes nécessaires.
Relation avec Ennahdha
Evoquant sa relation avec Ennahdha, Chahed a affirmé qu’il s’agit du résultat du compromis trouvé entre Nida Tounès et Ennahdha en 2014. « Ma relation était plus forte avec Ghannouchi qu’avec Ennahdha. On évoque toujours cette question dans le cadre de tiraillements politiques. Ennahdha a soutenu mon gouvernement car il était convaincu de l’importance d’assurer une certaine stabilité politique en Tunisie, il n’y avait aucun accord politique entre nous », a-t-il expliqué. Pour ce qui est du paysage politique et notamment de la situation de la famille démocratique, Chahed a affirmé que c’était Béji Caïd Essebsi qui assurait un certain équilibre politique et non pas Nida Tounès.
Le chef du gouvernement chargé d’expédier les affaires courantes a affirmé que tout au long de son mandat, il a fait l’objet de diffamations et de fausses accusations, ajoutant que la classe politique n’a pas tiré des conclusions de ce qu’il a appelé le séisme politique en référence aux résultats des récentes élections.
Revenant sur la guerre contre la corruption qu’il a lancée il y a deux ans, Chahed a affirmé que la Tunisie a réalisé d’innombrables avancées sur ce plan, notamment au niveau législatif, à travers l’annonce de plusieurs mesures pour faire face à ce fléau. « La guerre contre la corruption n’est pas seulement une question d’arrestation d’hommes d’affaires. Nous ne sommes pas là pour arrêter les hommes d’affaires, c’est la justice qui s’en occupe », a-t-il soutenu. Et d’expliquer dans ce sens qu’à cause de cette guerre contre la corruption il a fait l’objet de grandes campagnes de diffamation et d’accusation.
Guerre contre le terrorisme
Quant à la guerre contre le terrorisme, Chahed a affirmé qu’en tant que démocratie naissante, la Tunisie est toujours ciblée par les terroristes, se félicitant d’avoir mis en place le système de surveillance électronique aux frontières sud du pays. Dans ce sens, il a mis en garde contre les retombées de la situation sécuritaire en Libye et notamment la question du retour des « djihadistes » en Tunisie, ce qui constitue, selon ses dires, le plus grand défi du prochain gouvernement. « La question sécuritaire constitue la première priorité en Tunisie et nous appelons le prochain gouvernement à investir plus de fonds à ce niveau-là », a-t-il appelé.
Les nominations du dernier quart d’heure
Interrogé sur les nominations qu’il a décidées cette dernière période, juste avant la passation des pouvoirs, Chahed a répondu qu’il y a eu des démissions et des vacances dans certains postes, et que le seul critère qui a dicté ces nominations était la compétence.
Quel héritage laissera-t-il au prochain gouvernement ? Youssef Chahed s’est montré confiant à ce niveau, affirmant que son gouvernement laissera à son successeur une situation assez confortable, notamment au niveau économique. A cet effet, Chahed a appelé le prochain gouvernement à axer sa politique sur les objectifs sociaux, et ce, en essayant de mobiliser plus de fonds, à travers notamment le domaine des énergies renouvelables et l’économie numérique.
Chahed a conclu son interview par dire que le président de la République Kaïs Saïed est « un patriote qui veut servir son pays et qui fait l’objet de la même campagne de dénigrement à laquelle il avait fait face ».
Le septième occupant de La Kasbah depuis les événements du 14 janvier s’est offert le record de longévité à ce poste. Le 26 août 2016, son gouvernement obtient la confiance du parlement, il accomplit ainsi un mandat de plus de trois ans et quatre mois à la tête du gouvernement. Son mandat a été marqué, notons-le, par plusieurs remaniements ministériels, mais aussi par des démissions et des limogeages de ministres pour divers motifs.